Gilles Rammant. Get yours at bighugelabs.com/flickr

30 octobre 2007

Battles en live et en photos au Trabendo

On ne choisit pas son nom au hasard. Battles, groupe de "math rock" new yorkais, n'est pas The Bananas. J'avais cette idée en tête lorsque grâce à Gil j'ai découvert leur premier tube, Atlas, et son clip bluffant, qui m'évoquait une armée de bébés en marche. Hasard des noms ? Le batteur de Battles est un ex des Helmet, enfin bref : les EP de Battles sonnaient comme des tanks : le long déroulement des mécaniques industrieuses, le grincement tendu des guitares, les frappes impitoyables de John Stanier. De l'avis de mon maigre entourage intéressé, les disques de Battles sont difficiles. On décroche vite. On sature vite.

J'avais un peu peur de cette overdose sonore en live. D'ailleurs, la première partie m'a vite inquiété : débauche de décibels et grand concours de vitesse sur la caisse claire, aïe. Coincé au fond de la salle je ne pouvais que subir mon sort. Alors j'ai bougé pour dégoter une place de rêve sur la mezzanine, à droite de la scène. De cet angle, le son restait acceptable et par un curieux enchantement le trio a trouvé ses marques (ou la volonté d'épargner le public). Excellente fin de set, donc. Et puis vint l'heure de Battles. En arrière plan veillait un kit de batterie ultra réduit dont une cymbale perchée à plus de 2 mètres.

Un bassiste au look de premier de la classe monte seul. Il plombe six notes de basse, les sample directement à quatre pattes sur le scène, puis accélère le rythme : il est content, il sourit et balance la tête d'avant en arrière. Le tempo est modéré, le sample n'est pas carré, mais il s'en moque, il est tout sourire. Arrivent alors le clavier blondinet, sa guitare en écharpe dans le dos, et le chanteur - clavier - guitariste magicien des sons aux cheveux, disons, libres. Un Harry Potter et la coupe de fou, en somme. Chacun fait son truc dans son coin : boucles de guitares, synthés telluriques, le tout dans des rythmes absolument pas complémentaires, complètement désordonnés, un brouhaha urbain, un complexe autoroutier créé sous nos yeux. Ca part dans tous les sens, le son gonfle, monte, l'espace est rempli, qu'ajouter de plus ? Mais le batteur n'est pas encore là, comment va-t-il s'y retrouver ? Ils savent pourtant ce qu'ils font, ils sont tous ravis, ils gigotent, mes oreilles perdent leurs derniers repères, où est le phare, où est le rythme ?

Mais voici que s'avance un batteur que Gil, toujours, qualifia un jour de métronome. Le type grand et solide se glisse aussi discrètement que possible à sa place (en fait, aussi humblement que possible, tant la première trace de vanité est absente de ce groupe). C'est lui la star, il le sait, tout son corps prouve qu'il n'en fait rien. Il s'installe à la hâte, secoue la tête, lève le poing, baguette en main...
Au premier coup de baguette sur la première caisse claire, j'ai compris. Un son d'une propreté, d'une précision, d'une rigueur, d'une force (bon Dieu mais quelle frappe !), d'une intensité inouïs (et jamais mot ne porta mieux ses sens) ! J'avais vu quelques batteurs, de Matt Sorum (pour le pire) avec les Guns à John Blackwell avec Prince, Gene Lake avec Steve Coleman ou Sterling Campbell avec Bowie, démonter des verrous à la force du poignet. Mais ça, jamais. Etonnante sensation des esgourdes qui s'ouvrent d'un coup sur un monde meilleur, qui pour la première fois depuis que l'air entra dans mes poumons, eurent l'impression d'entendre. Ô voluptueux viol de mon ouïe. En un éclair, tout s'est éclairci : les rythmes synthétiques modelaient une nappe compacte qui, sous le drive de Stanier, prenait soudain sens. Le maelström de sons fusait soudain tel un laser dans le faisceau sauvage et net du batteur. Fini les surenchères de décibels : le boss est là. Il a les clés, et il met tout le monde d'accord.

Une belle heure d'énergie pure, comment définir autrement ce concert ? Cette puissance cache quelque chose. Battles mène un combat, celui de la joie sans concession. Il y a dans leur façon de conquérir la salle une impatience qui fait fi des détails. Oui le monde est mal fait, et oui il y a plein de problèmes. Mais le temps d'un concert la guerre est ouverte, et la bataille a lieu. Et si un jour la guerre éclate dehors, alors je choisirai pour camp de la joie qui est le camp de Battles, et pour galvaniser les hommes mon hymne sera Atlas et rien ne pourra nous arrêter.

Texte : Bertrand Ploquin




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